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  • Photo du rédacteurMari Gwalarn

Merci, j'avais faim !

Quand un exercice d'école te donne la banane. Gestes d'artistes.

J’ai conçu cette modeste installation en forme de note, en réponse à un exercice proposé par mes professeurs d'atelier pratique, Y. Serandour et M. Boivent, "Illustrer une œuvre sans la montrer". J’évoque l’installation intitulée Comedian(1), par l’artiste italien Maurizio Cattelan, une banane scotchée au mur. Elle a été présentée par le collectionneur qui l’a achetée pour la somme exorbitante de 120 000 dollars, à l’occasion de l’exposition d’art contemporain Art Basel à Miami Beach, au Etats-Unis, en décembre 2019. L’histoire a fait le tour des réseaux sociaux, chacun lui rendant un hommage personnel. Un anonyme vend en ligne pour le même prix une installation similaire avec 2 bananes cette fois, assortie du message promotionnel du style : deux pour le prix d’une !(2). Un autre avoue dans un article des plus sérieux avoir réalisé sa propre copie conforme de l’œuvre, installée dans sa cuisine(3). Vu également sur mon flux instagram : un photomontage portant la mention « big banana » présente le président actuel des Etats-Unis, Donald Trump, scotché à un mur. Et sur facebook, un autre italien diffuse un cliché d’une aubergine scotchée au mur en commentant malicieusement : « Maurizio, petit joueur ! ». J’ai donc décidé de saluer cette affaire grotesque, laquelle a le mérite de pointer du doigt les excès du marché de l’art contemporain et des mécanismes financiers qui le régissent.

Alors, un autre artiste, David Datuna, a mangé la dite banane pendant l’exposition Art Basel(4), provoquant à son tour un buzz inédit. Je me suis demandée quelle aurait pu être sa réponse s’il n’avait pas effectué sa performance d’ingestion devant les caméras, mais en vandale, sans que personne ne le remarque. Il aurait, au moins, laissé un petit mot, n’est-ce-pas ?

Ainsi j’ai conçu cette note : « Merci ! J’avais faim… maintenant je peux la garder. » Elle fait référence à l’expression populaire française passée de mode : « Garder la banane », issue d’une image publicitaire de la marque Banania, dont l'imagerie marketing est fort heureusement tombée en désuétude car évocatrice d’une pensée raciste, laquelle a ses fondements dans le colonialisme(5). Dans l'œuvre de Cattelan, relayée et augmentée collectivement dans les médias, la critique des dérives écologiques et humaines provoquées par la surconsommation est perceptible. La banane, devenu 4ème aliment de 1ère nécessite dans le monde, est importé par millions de tonnes aux Etats-Unis et en Europe. Paradoxalement, les 400 millions de personnes dépendantes économiquement de ce trafic mondial sont des travailleurs pauvres, voire exploités. Les groupes internationaux aujourd’hui aux commandes du marché de la banane ont presque tous été créés avant l'abolition de l’esclavage. Les politiques identitaires désastreuses régissant ces structures sont restées les mêmes. Depuis très longtemps, ce sympathique fruit est un enjeu de domination politique majeur(6). Vue sous cet angle, l’action de Maurizio Cattelan, derrière son apparence de blague, est bien une nouvelle provocation au monde occidental, destinée à faire bouger les lignes. A l’artiste, je réponds : Merci !


1. Benjamin Sutton, « Maurizio Cattelan’s duct-taped banana work sold during Art Basel in Miami Beach’s VIP », 4/12/2019, www.artsy.net

2. « Nantes. Une annonce se moque de la banane de l’artiste Maurizio Cattelan », journal Ouest-France, 13/12/2019, www.ouest-france.fr

3.Didier Vivien, « Avec sa banane [...] Maurizio Cattelan démocratise l’art du vide », Bibliobs, L’obs, 11/12/2019, www.nouvelobs.com

4. « “J’ai attendu d’avoir faim” : l’artiste qui a mangé une banane à 120 000 dollars [..] », Le journal des Arts, AFP, 10/12/2019, www.lejournaldesarts.fr

5. Françoise Dufour et Bénédicte Laurent, « “Y’a bonBanania !” : quand le discours publicitaire subsume les représentations des sens linguistiques», CNRS-Montpellier3, 2008, https://halshs.archives-ouvertes.fr/

6. Sandrine Rioual, « “La guerre de la banane”. De la suprématie des firmes à la réforme de la Convention de Lomé ? », Politique africaine, vol. 75, no. 3, 1999, www.cairn.info.fr



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