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CR de Lecture :

Nancy Huston, contribution au catalogue de l'exposition  « Des duos et des couples »

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Ce commentaire de lecture a été présenté en complément de mon compte-rendu sur la vidéo-conférence "Entretiens" avec Nancy Huston, sur canal U.

Nancy Huston a écrit un texte remarquable pour le catalogue de l’exposition « Des duos et des couples », consacrée à une rétrospective des travaux d’artistes s’aimant et œuvrant à deux, en 2003, à la galerie d’art du Conseil Général des Bouches-du-Rhône(1). Le sujet de son intervention n’a pas manqué de m’interpeller, car j’ai déjà abordé ce thème du poids du couple dans la vie de l’artiste, notamment dans mon récit de VAE en 2018.

Dans ce dossier, elle livre ses observations de la réalité de la vie de l’artiste-femme, dans et en dehors du couple. Loin de prôner l’image d’une créatrice qui serait toute-puissante, capable de tout assumer socialement, elle avoue en toute franchise ne pas croire, si on se fie à ce qui est su de l’existence menée par les oeuvrières dans l’histoire, que l’on puisse réellement vivre « un rôle de femme traditionnelle et être artiste en même temps ». Elle cite en exemples des itinéraires exceptionnels, ne manquant pas de faire remarquer que celles qui s’en sortent à priori le mieux sont les femmes qui ont déjà « la certitude inébranlable de leur propre voie créatrice », donc celles qui sont plus expérimentées, et/ou plus âgées que leurs partenaires, comme dans le cas de Suzanne Valadon et André Utter.
Fait exception, le duo constitué par deux géants de l’art contemporain : Nikki de Saint Palle et Jean Tinguely, lesquels semblent à priori avoir toujours agi entre eux, en toute équité. On omet peut-être de considérer les nombreuses disputes et autres aléas subis par ce couple très médiatisé.

Plus loin, elle écrit : « Tout artiste est obligé d’être égoïste, et pour être égoïste, une femme doit combattre non seulement son éducation mais également sa nature [...] ». Il est certes évident qu’une éducation véhiculant l’idée qu’une femme, au sein de la cellule familiale, doit mettre une priorité à autre chose que son art, est un frein au développement de ce dernier. On peut tout-de-même apporter un bémol à l’affirmation de l’auteure, en interrogeant la notion de nature qu’elle invoque. La nature de l’individu, qu’il soit homme ou femme, si elle existe, n’est-elle pas, plutôt que liée au genre, relative à son caractère, à ses émotions et à la manière dont il/elle les gère ? Et l’idée même que l’on ait une « nature à faire ceci ou cela » n’a t’elle pas été depuis longtemps déjà dénoncée par un nombre considérable de penseurs comme un « totem de l’idéologie bourgeoise », un artifice fabriqué par la société occidentale ? Formulé par une experte rompue aux idées révolutionnaires post-soixante-huit, voilà un argumentaire qui étonne. Justement, parce que c’est Nancy Huston, féministe engagée,  qui écrit ce qui semble être une expression sexiste, on repère vite la petite provocation. Dans son essai controversé Reflets dans un œil d’homme(2) elle défend l’idée que nos comportements ne sont pas exclusivement le produit de l’éducation et qu’il est vain de nier l’influence de l’identité sexuelle sur ceux-là. Reste à savoir justement, que cela soit par notre nature ou notre culture supposées, à quel point, nous, les humains, nous nous laissons influencés.

Si l’on considère les choses du point de vue de l’écrivaine en charge de produire un récit sur ce sujet du couple d’auteurs, on ne peut que constater l’influence encore bien présente aujourd’hui des logiques sexistes sur la construction de la fiction historienne de l’art.  En tant qu’étudiante en arts-plastiques,  en écho avec les constats faits depuis longtemps déjà par des experts et critiques d’art(3), j’ai moi même été tentée d’interpeller mes camarades sur cette situation ubuesque à laquelle tout chercheur est confronté : être obligé, par soucis d’objectivité, de justifier ses affirmations en extrayant les informations de ressources documentaires qui s’avèrent être toutes politiquement (pour ne pas dire sexuellement) orientées !

Lors d’une séance d’atelier, j’ai apporté en classe, pour faire réagir mes camarades, un énorme ouvrage consacré à l’histoire de la sculpture en tant qu’art, Écrire la sculpture : de l’Antiquité à Louise Bourgeois(4).  Sur plusieurs centaines d’artistes et d’auteurs cités dans ce livre, on n’y compte hélas qu’une quinzaine de femmes. Je veux bien admettre que cette sélection si déséquilibrée soit à l’image de ce qui nous reste de traces des œuvres sculpturales et de leur attribution à un(e) auteur(e), mais quid des écrivain(e)s dont les textes sont associés aux sculptures en guise de commentaires ? Et le pire est que ce gros livre magnifiquement relié est le produit du travail acharné de deux femmes, historiennes de l’art, et chercheuses faisant autorité dans la profession.


Dans son essai appelant à un grand mouvement de restauration dans les faits, de l’histoire des femmes artistes, l’historienne de l’art Mary Shériff (1950-2016) rappelle que des femmes-auteures étaient connues pour leurs récits historiques en forme de témoignages dans la première moitié du 19ème siècle, qu’elles ont beaucoup sculpté pour des ouvrages d’art public des grandes villes(5), et  « qu’elles ont disparu au moment de la naissance de l’histoire  scientifique »(6).  Autrement dit, l’absence des femmes dans les ouvrages scientifiques contemporains est uniquement due à la mauvaise volonté des chercheurs en charge d’établir ces contenus. Voilà de quoi méditer.

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1. Nancy Huston et Tzvetan Todorov, Jacques Busse et Michel Bépix, Des duos et des couples, Acte sud, Arles, 2003, catalogue d’exposition, Galerie d’art du Conseil Général des Bouches-du-Rhône, Aix-en-Provence, 16 janvier au 30 mars 2003.
2. Nancy Huston, Reflets dans un œil d’homme, Acte Sud (France), 2012, Léméac Editeur (Canada), 2012.
3. Linda Nolchin, « Why have there been no great women artists? », ARTnews, Janvier, 1971, pp. 22-39.
https://www.artnews.com/art-news/retrospective/why-have-there-been-no-great-women-artists-4201/
4. Claire Barbillon et Sophie Mouquin, Écrire la sculpture de l’Antiquité à Louise Bourgeois, Paris, Citadelles & Mazenod, 2011.
5. Maria Lamers de Vits, Les femmes sculpteurs graveurs et leurs oeuvres, Paris, référendum littéraire 1905, citée par Marjan Sterckx, « Sculpture de femmes sculpteurs dans l’espace public de la grande ville [...] », thèse de 2006, publiée en 2011, katholieke universiteit Leuven.
6. Mary D. Sheriff, « Pour l’histoire des femmes artistes : historiographie, politique et théorie », Perspective, 2017. http://journals.openedition.org/perspective/7155


 

Pour citer cet article :

Valérie Galerne a.k.a Mari Gwalarn, "Nancy Huston ,contribution à « Des duos et des couples »", site de recherche de l'auteur, [en ligne], CR de lecture du catalogue de l'exposition à la Galerie d’art du Conseil Général des Bouches-du-Rhône, Aix-en-Provence du 16 janvier au 30 mars 2003, mis en ligne le 1er juin 2020.

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