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Mémoire La Pièce rouge [...]

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La pendue de l'art contemporain, installation

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article de la revue Ephémeris n°1

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contenu de "Le tribunal des anomalies" dans le mémoire Ce qui demeure dans la pièce rouge. Introduction à "Je veux faire un monument au mortes"

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féminicide

féminisme

viol, violences, torture, sidération

Critique d'art

Théorie de la création actuelle

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La pendue de l'art contemporain... pour celle.ux qui doutent, en état de sidération.
par Valérie Galerne a.k.a. Mari Gwalarn - mai 2021
Article de la revue universitaire Ephémeris - Passage de mémoire de master
Université de Rennes 2 - UFR ALL - Classe de Master Art Pla Recherche

GALERNE, Valérie, a.k.a. Mari Gwalarn, « La pendue de l’art contemporain... pour celle.ux qui doutent, en état de sidération.», Ephémeris, revue du master 2 de littérature générale et comparée, université de Rennes 2, Hypotheses, numéro spécial, juin 2021, pp. 12-14.
https://masterlgcr2.hypotheses.org/revue-ephemeris-n-1 ouhttps://masterlgcr2.hypotheses.org/files/2021/06/RevueFinale.pdf

Souffrir d’une permanente injonction à me taire : voilà à quoi devrait se résumer ma vie de femme ? Non. Souvenez-vous, non, c’est une phrase complète(1). Bons ou mauvais, j’ai le droit d’exprimer mes sentiments ; je ne suis pas née avec un zip sur la bouche(2). Et je ne suis pas non plus dépourvue d’habileté. Mes mains, ma langue, mon cœur, porté.es par l’émotion, martèlent à l’unisson. Si vous ne voulez pas que je réagisse, ne provoquez pas ce réflexe d’autodéfense : pour toute agression, je fais une sculpture, et donc, j’ai une histoire à raconter à son propos. Ainsi, depuis mes premiers chagrins transposés dans des modelages, jusqu’à cette dernière composition née de la tentative d’anéantissement de ma dignité d’artiste, par un adversaire autoproclamé, je construis ma légende : celle de celle qui ne se tait pas ! Je ne m’effondre pas. J’emprisonne dans les matériaux, que je façonne, tout le mal provoqué par le venin du serpent qui me mord. Peu importe si c’est dans la nature de l’animal qu’il se vide les glandes. Il a soulagé son corps visqueux de sa pulsion de mort. Je demeure sidérée, attendant ma dose d’anti-venin, et la reconnaissance de ma bravoure de victime insoumise.

 

Dans la pièce rouge, j’ai tenu à exposer et filmer ma douleur, laquelle est enfermée dans La pendue de l’art contemporain.L’installation murale représente le méfait d’un vilain personnage, que nous appellerons le Juronchon. Au prix d’intenses efforts, il retient attachée sa toute dernière captive. Manque de chance pour lui, cette fois-ci, la pendue, c’est Wonderwoman(3), autant dire, une calamité pour un fasciste. Cela peut vous paraître exagéré d’exhiber une pendaison dans une exposition artistique grand public. Pourtant, rien de plus banal. Déjà, dans l’Outdoor, nos monuments reprennent des scènes barbares sur leurs façades. Et je vous parlerais volontiers du mémorial et des pertes humaines qui y sont inscrites. Les figurations de l’enfer et son cortège de tortures abondent dans les plus grands chefs d’œuvre, comme dans La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin, par exemple. Cette immense porte de bronze ne s’ouvre pas, si ce n’est sur les tréfonds du psychisme, mis en scène dans la tragédie qui a inspiré le sculpteur. Dans sa version la plus connue, illustrant l’œuvre de Dante Alighieri, L’Enfer première partie de La Divine Comédie, des corps entremêlés s’agglutinent sur sa surface, voués à leurs passions, fatalement destructrices(4).

A l’époque contemporaine, les artistes de la performance emploient la souffrance comme un matériau dont on peut pousser l’usage jusqu’à l’extrême. Ce qui est éprouvé ce ne sont pas uniquement les limites des corps mais notre capacité collective à résister. Gina Pane s’inflige des blessures, toutefois, dit-elle, mesurées, devant l’objectif photographique(5). Passer devant ces clichés en noir et blanc, si proprement encadrés, glace le sang, et pourtant, on les scrute, comme des évidences sur un mur, pour tenter d’en résoudre l’énigme. Dans le même esprit frappeur, Ben Vautier, en 1976, à l’occasion de l’une de ses expositions, se tient debout sur un tabouret, la corde au cou, et invite les visiteurs, qui n’aiment pas ce qu’il voient, à donner un coup-de-pied dans le meuble(6). Forcement, personne ne va jusque-là et on comprend le message désespéré de l’auteur… ou pas.

 

Pour ce qui est de la représentation du monstre, provocant la terreur, les créatures de films d’horreur n’ont rien à envier aux sentinelles perchées sur les édifices bâtis au Moyen-Âge. À côté, mon vilain petit Juronchon, avec sa bedaine naissante, et son crâne chauve doté de deux cornes minuscules, ressemble davantage à une mouche de dessin animé bas de gamme, collée ainsi à une curieuse demi-branche factice en lévitation. Petite précision, la forme est issue du moulage d’une ramée calcinée. J’ai décidé de la tirer en rouge sang, pour plus de dramaturgie. à cela s’oppose une grande silhouette humaine, pendue par le pied à son gibet. Les amateurs de comics auront peut-être reconnu le personnage de Wonderwoman, à son costume old school. Le vilain petit Juronchon domine l’ensemble haut perché sur une illusion porteuse, une structure de résine, armée, très solide. La super-héroïne, mise la tête à l’envers, est faite de carton recyclé, une matière certes très souple dont on peut faire à peu près ce qu’on veut, mais aussi très fragile, et facilement détruite par l’eau ou le feu ou l’action mécanique.

 

Cette installation est une sculpture composite, c’est-à-dire, une création qui rassemble plusieurs éléments distincts pour former un tout sur lequel on peut projeter une narration donnant à ces objets un sens nouveau. Elle pourrait figurer l’état de notre culture sous influence d’un mal anthropogénique qui se nourrit de la crise actuelle. À l’heure où j’écris ces lignes, les artistes sont interdits d’activité depuis un an, et cela ne semble déranger personne de les voir suspendus. Voilà donc illustré le cauchemar dans lequel je suis piégée depuis trop longtemps, dont l’effet toxique est renforcé par le mépris écrasant et décomplexé d’un seul intervenant à l’université où j’étudie ma discipline. Mon agresseur éructe, suggérant, en substance, que, vu mes productions, je n’ai pas le niveau de mes ambitions. Mes bons résultats jusque-là prouvent le contraire. Et il ne semble pas comprendre que ce qui m’intéresse, ce n’est pas son jugement sur le contenu, c’est la méthode scientifique que l’on est censé m’enseigner ici. Je conteste son avis. Alors, je suis blâmée pour ne pas m’être astreinte au silence. La parole libérée ébranle l’ordre de la structure porteuse qui dysfonctionne. Je suis maintenue à l’écart, dans l’attente d’un jugement plus sévère si je m’évertue à demeurer créative et expressive. Mon agresseur m’accuse, pour cacher la maltraitance qu’il inflige aux autres, de malhonnêteté intellectuelle. Mettre en doute ma parole en me décrédibilisant, voilà sa seule stratégie. C’est de l’acharnement, de l’enragement même.


Heureusement, je suis habituée à la mécanique du mépris que l’on me renvoie depuis la naissance, que j’ai intériorisée, acceptée comme une fatalité, parce que je suis une femme et une simple oeuvrière. Par chance, je n’ai pas passé le temps à ne rien faire. Je me suis bien grandie. Ne comptez pas me voir abandonner. Dans la tradition populaire, ce genre de mésaventure se finit généralement sur l’espoir d’un mieux-être pour la glorieuse martyre. On peut imaginer ce qui va arriver car la posture déterminée des bras croisés de la silhouette féminine appelle un retournement de situation. Dans le jeu de tarot(7), cher à mes ancêtres, la carte du pendu, dont j’ai repris le motif pour la posture de Wonderwoman, n’évoque a priori rien de positif, mais, toujours associée à une autre, elle signifie que l’évènement annoncé va prendre un peu de temps. Comme un message adressé à celle.ux qui sont sidéré.es par toutes les formes de violences, le tirage de cette lame invite à la patience. La fragile super-héroïne, en vous, va bientôt se remettre debout.

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1. Citation de l’allocution de l’actrice Jane Fonda, lors de sa réception du Prix Lumière, à Lyon, le samedi 20 octobre2018.

2. «I always say what I’m feeling ; I was born without a zip on my mouth [...]» , passage interprété par la chanteuse et comédienne Jesy Nelson, du groupe Little Mix, dans Woman like me, featuring Nicky Minaj, album LM5, Syco Music, 3:48, 2018.

3. En réaction au fait que j’assume tous les rôles à la fois en tant que conceptrice, fabricante, installatrice et la promotrice de mes propres sculptures, les plus taquins de mes amis, comme certains de mes contradicteurs, me surnomment ironiquement Wonderwoman, une héroïne de comics, au caractère symbolique ambivalent, partagé entre la force exceptionnelle de sa nature surhumaine et une sensibilité qui la rend vulnérable aux pièges que lui tend son destin particulier.

4. La version de la Porte de l’Enfer à laquelle je fais référence est celle que l’on peut admirer, notamment, dans le jardin du musée Rodin, dans le 7ème arrondissement de Paris. Cette œuvre est depuis toujours ma favorite.

LE NORMAND-ROMAIN, Antoinette, Rodin, La porte de l’Enfer, Paris, Éditions du Musée Rodin, 2002

5. « Gina Pane. Portraits de femmes artistes », op. cit.

6. BEN, et Annie Vautier, Ma Vie, Mes Conneries 1935-1997, Z’éditions, 1975.

7. A propos de « l’emploi d’un jeu de cartes par l’activité imaginative d’un écrivain.», l’article de Maria Corti, « Le jeu comme génération du texte : des tarots au récit. », Semiotica, vol. 7, no. 1, 1973, pp. 33–48.

 

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Pour citer cet article :

Valérie Galerne a.k.a Mari Gwalarn, "La pendue de l'art contemporain...pour celle.ux qui doutent, en état de sidération.", La pièce rouge [...], site de recherche de l'auteur, [en ligne], passage de mémoire Ce qui demeure dans la pièce rouge.Introduction à "Je veux faire un monument aux mortes",  et en article dans Ephémeris N°1, Université de Rennes 2, mai 2021, mis en ligne le 23 aout 2021.

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