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De l'altérité à l'art, anecdotes

par Valérie Galerne a.k.a. Mari Gwalarn - 19/05/20

Réponses aux question de Laurence Corbel - Cours d'esthétique - examen de fin de semestre (deux questions au choix parmi une liste de 6)

Université de Rennes 2 - UFR ALL - Classe de Master Art Pla Recherche

Pour le webzine Culture Prime , la pianiste classique Alice S. Ott, déclare, il y a peu : « Pour moi, la virtuosité, c’est arriver à produire le son que l’on imagine. »(1). Sa remarque m’invite à considérer ce qui fonde ma propre relation à l’art, en terme de gestes, ceux observés autour de moi, et ceux que j’ai introduit dans mes protocoles artistiques. Parmi les 6 problématiques du sujet d’examen, j’ai repéré les questions n°2 et n°3 comme traitant du rapport de l’altérité avec l’art, selon deux points de vues : celui de l’observateur de l’œuvre, puis, celui du créateur, dont l’activité sociale consiste à la produire. Il me semble important de signaler le rapprochement conceptuel qui s’est opéré au cours de ma réflexion, mes réponses étant liées entre elles.

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N°2 : L’expérience que nous faisons des œuvres en tant que spectateurs plaide t’elle contre l’autonomie de l’art ?

 

Il suffit d’effleurer la thèse de T. W. Adorno sur le « double caractère de l’art comme autonomie et fait social »(2) pour réaliser qu’il n’est pas possible de séparer l’œuvre de ceux qui la reçoivent, qu'elle soit conçue de manière indépendante au départ ou intégrée à une dynamique coopérative et sociale, comme dans le cas une commande publique par exemple. Déjà, selon Emmanuel Kant, « le concept de la liberté est la clé de l’explication de l’autonomie de la volonté »(3). Hors, l'idée de la liberté, ou même du libre arbitre, n'existe que dans un contexte culturel défini. [...] Lorsque l’on associe l’art à ces notions, qu’elles visent l’émetteur ou le récepteur, cela implique nécessairement une dynamique humaine et un champ de comparaisons.

Toutes les expériences que nous faisons en tant que spectateurs ne se valent pas. Beaucoup d’œuvres sont installées dans l’espace public sans que l’on puisse réellement comprendre ce qu’elles peuvent bien signifier, jusqu’à ce qu’un jour, quelqu’un s’en fasse le rapporteur. En attendant, elles s’imposent en tant qu’inerties dans le décor urbain.

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Au port de St Goustan, lorsque j’étais enfant, une scène me sortit de la contemplation de ce décor ; et, parce que j’en compris l’intérêt, elle changea ma destinée. Un peintre local, Georges Ballerat, surgit de son atelier, visiblement très énervé, l’un de ses mécènes, suppliant, à ses trousses. Arrivé au bout du quai, l’artiste jeta la toile qu’il brandissait, à l’eau. Un troisième homme sortit du café tout proche et se précipita pour la repêcher, encouragé par un groupe de badauds hilares. Je le vis remonter la cale, trempé, serrant le tableau dans ses bras comme un trésor. Celui-ci fut nettoyé soigneusement et exposé au dessus du bar, au milieu des trophées sportifs, pendant des années, jusqu’au départ en retraite du patron. La petite vue paysagère est donc passée des mains d’un duo basé sur un rapport de dépendance matérielle, formé par l’artiste et son mécène, en conflit à propos d’elle, à celles d’un autre corps social bien plus libre dans ses appréciations, la clientèle du bar, puis, tous ceux qui ont eu vent de l’affaire. Jusque là, peu de gens avaient eu la curiosité d’observer le tableau séchant dans un coin de l’atelier. Ce n’est qu’à partir de son lancement dans le grand bain, que la portée de l’œuvre en question va s’étendre, provoquant, du même coup, une popularité renouvelée pour le peintre traditionnel. Alors, G. Ballerat se métamorphosa aux yeux de tous, par son geste de révolte, quelle qu'en soit la raison, en passeur d’idée sur la vraie beauté, celle qui vous libère en vous faisant vous dépasser, portés par l’attraction qu’elle exerce.

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Comme l’indique Joëlle Zask, « la reconnaissance ne concerne pas un objet du point de vue de ses caractères acquis. Elle porte sur sa latitude à acquérir de nouveaux caractères. »(4). Après son expulsion, en changeant de milieu et de médiateur, l’objet décoratif s’éleva au rang d’icône, de symbole communément reconnu, et renvoyant chacun à son mérite. Le meilleur amateur n’est pas toujours celui qu’on croît. L’anecdote est restée dans les annales du port. Elle évoque, pour moi, un effet de mise en abîme grandiose, l’image paysagère rendue à la Nature source d’inspiration, assorti d’une tension dramatique où celui que l’on n’attendait pas dans le rôle du héros vient changer le cours de l’histoire. Grâce à (ou à cause de) ce dernier, une œuvre d’art a pu échapper à la volonté sacrificielle de son créateur, et lui survivre.

« Un discours valable est celui qui, sans se substituer à une œuvre, participe à l’aménagement des conditions de son développement, son autonomisation. »(5). Cette formule, défendue par J. Zask, confère au spectateur un rôle crucial dans la promotion d’une œuvre, et de son auteur. L’expérience artistique ne plaide ni pour ni contre l’autonomie de l’art, au sens préféré par Agnès Heller, de sa dignité(6). Tout dépend de ce qu’il se produit lorsque l’observateur interagit avec l’œuvre et transmet les faits qui s’y rapportent. Son point-de-vue évolue en fonction de sa situation et de sa propension à percevoir, comme l’étudiant appelé J. par Arthur Danto dans son anecdote du Red Square(7), le sublime caché dans le banal.

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N°3 : L’art est-il une activité séparée et indépendante de la sphère sociale ?

 

Depuis l’évènement décrit plus haut, j’ai compris qu’exister en tant qu’auteure implique de s’ouvrir au monde. C’est l’essence du Dasein formulé par Martin Heidegger, repris par Emmanuel Lévinas(8), penseur de l’altérité. Aussi, il ne m’est toujours pas évident de me définir artiste au sens kantien « d’être à part », c’est-à-dire, à la marge. « Le premier public de l’œuvre, c’est son créateur », écrit J. Zask(9).  Effectivement, pendant la phase de conception, je suis en tête-à-tête avec mon projet. D’ailleurs, je suis la seule à pouvoir l’observer sur toutes les coutures avant qu’il soit matérialisé. A un moment donné, il faut tout-de-même que le concept s’extériorise. Alors, je balance mon art dans l’espace public, mais pas exactement de la même façon que G. Ballerat(10). Je n’attends jamais de ne plus en pouvoir de ce huis clos. Je réponds à la commande, remodèle mon œuvre pour qu’elle puisse être acceptée là où j’envisage de l’installer. De mon point-de-vue de créateur, l’activité professionnelle de l’art n’est pas séparée de la sphère sociale.

 

La question de l’indépendance reste posée. Dans le secret de mon atelier, je triture les matières jusqu’à obtenir une collection d’effets et de prototypes. Parfois, je mets dans la confidence quelques personnes qui vont y contribuer. Ce groupe s’élargit considérablement lors du workshop Jeu de mains, Je, Demain(11). J’y propose des ateliers de découverte du moulage sur le vivant. Je récolte des empreintes de mains d’anonymes, lesquelles s’agglomèrent pour constituer des plaques matricielles, me servant à rendre un effet de surface organique pour mes sculptures. Si je revendique la propriété intellectuelle de l’idée de départ, je reconnais qu’il me serait impossible de la concrétiser sans l’intervention d’autrui dans mon procédé de fabrication. En 2016, j’ai produit, Le tétraèdre, une œuvre d’art public issue de ces sessions. La sculpture est visible dans le quartier Beauregard à Rennes. Sur sa surface, figurent les mots « rêver », « jouer » et « se dépasser », extraits des principes régissant les Droits de l’Enfant(12). Ainsi, j’ai marqué un objet qui va faire sa vie en dehors de moi, de ma propre empreinte, associée aux valeurs humanistes que je défends. Là encore, l’intention est la mienne, mais elle procède de ma volonté de répondre aux exigences de sublimation, imposées par la réception de l’œuvre dans l’espace public. Il s’est donc opéré un glissement statutaire, pour cette sculpture, depuis le moment où j’ai décidé de la proposer, jusqu’au moment de son autonomisation(13) dans le réel.

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Dans l’actualité de l’épidémie de coronavirus covid 19, l’historienne et critique d’art Julie Crenn note que les artistes plasticiens affirment continuer leur activité, indépendamment de la situation de confinement. Mais, ajoute l’experte, « le drame se joue plutôt au niveau de la rencontre avec les œuvres »(14). En effet, si ce que produisent les artistes demeure cloîtré dans leurs ateliers, c’est la relation de l’altérité vis à vis de leur art qui en pâtit. Les plus experts d’entre eux en matière d’auto-promotion ont largement exploité les réseaux sociaux en ligne pour faire découvrir leur travail au grand public connecté. Ils ont contourné ainsi, partiellement, le risque de freins à la libération de leurs œuvres de leurs propres mainmises.

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1. Alice Sara Ott, « Comment se réconcilier avec « La Lettre à Élise » ? », Culture prime, France Musique, [En ligne]18 janvier 2020.

2.Théodore W. Adorno, Théorie esthétique, 1995, p. 21, cité par, Wellmer, Albrecht. « Autonomie et négativité de l'art. L'actualité de l'esthétique d'Adorno et les points aveugles de sa philosophie de la musique », Réseaux, vol. 166, no. 2, 2011, pp. 29-70.

3. Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. Victor Delbos, Paris, le livre de poche, 19993,121, cité par, Esteban Buch, « L’autonomie, Par delà le beau et le laid, Enquêtes sur les valeurs de l’art », Presses Universitaires de Rennes, pp 23-32, 2014.

4. Joëlle Zask, Art et démocratie, Peuple de l’art, Presses Universitaires de France, Paris, mai 2003, p. 11

5.Ibid., p.33

6. Agnès Heller, “Autonomy of Art or the Dignity of the Artwork”, traduit par Andrea Vestrucci, Critical Horizons: A Journal of Philosophy and Social Theory, vol. 9, n° 2, septembre 2008, p. 139-155.

7. Arthur Danto, La transfiguration du banal […], traduit de l’anglais par Claude Harry- Schaeffer, Editions du seuil, Paris, 1989, p31à 35.

8. Emmanuel Levinas, De l’oblitération, avec F. Armengaud, à propos de l’œuvre de Sosno, 2ème édition, ELA La Différence, Paris, 1990.

9. Joëlle Zask, Art et démocratie, Peuple de l’art, op. cit., p. 43.

10. Lire le récit de l’anecdote dans la réponse à la question N°2.

11. Mari Gwalarn, Jeu de mains, Je, Demain, workshop. [En ligne] https://marigwalarn.wixsite.com/info/workshop-jeu-de-mains

12. Unicef, « Convention internationale des droits de l’enfant », adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, signée puis est entrée en application en France le 6 septembre 1990.

[En Ligne] https://www.unicef.fr/sites/default/files/convention-des-droits-de-lenfant.pdf

13. Voir citation de Joëlle Zask , en 5., en conclusion de ma réponse à la question N°2.

14. Andréanne Béguin, « Interview # 3, Entretien avec Julie Crenn », Paroles contemporaines, Blog d’Andréanne Béguin, 11 mai 2020,[En ligne] https://beguinandreanne.wixsite.com

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Pour citer cet article :

Valérie Galerne a.k.a Mari Gwalarn, "De l'altérité à l'art, anecdotes", La pièce rouge [...], site de recherche de l'auteur, [en ligne], réponse à Laurence Corbel, questions d'examen d'esthétique, 19 mai 2020, mis en ligne le 1er juin 2020.

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