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Art dans l'espace public

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Balance ton art dans l'espace public

par Valérie Galerne a.k.a. Mari Gwalarn - 10/01/20

Article d'introduction à un ouvrage personnel sur les droits et réalités de l'auteur

Au début des années 80, à Saint Goustan, port d’Auray, le peintre Georges Ballerat(1), excédé par un commanditaire un peu trop exigeant, jette une toile dans le Loch. Le tableau s’enfonce lentement dans la vase. A ce moment là, le patron d’un café voisin se précipite et plonge, tout habillé, pour le récupérer. Sauvé des eaux poisseuses, l’objet est exposé ensuite pendant des années, dans le bar, au dessus du comptoir, tel un trophée. Cette affaire cocasse marque le début de mon initiation à l’art de balancer avec confiance son œuvre dans l’espace public.

« Parce que le monde n’est pas un cube blanc »(2), les productions artistiques ont en effet aujourd’hui plus de chances d’être appréciées si elles sont sorties de leurs cadres feutrés, exportées dans les dehors, exécutées in situ, et parfois co-produites. La sphère publique est un perpétuel terrain d’expérimentations et d’interactions. Elles sont nombreuses en France, mais trop mal connues de la critique d’art, les initiatives comme celle de la Luna, un collectif de trois artistes plasticiennes de la région nantaise, alliant urbanisme écologique et fabrication d’objets sensibles(3). A Rennes, ce sont les squatteurs de l’Elaboratoire, depuis 2018, dispersés en plusieurs endroits, depuis le centre de Rennes jusqu’aux ruines d’un manoir abandonné à Bovel, qui portent haut les valeurs de cet improbable mélange d’esthétique contemporaine et de pensée marginale, dans la métropole en croissance intensive(4).  Il est regrettable que le collectif ne soit légitimité par les institutions locales qu’au moment même où les artistes sont expulsés de leur site historique d’occupation, c’est-à-dire 20 ans après leur installation.

Plus les structures de l’art grossissent en influence, plus elles verrouillent, en leur sein, les périmètres autorisés d’expressions individuelles, au nom d’un protocole de recherche, d’une tendance, d’une identité d’école, ou suivant les pulsions effrayantes de collectionneurs, assez riches pour se retrouver en mal de sensations fortes.  Dans ces contextes où l’individu seul n’a sa place que s’il se soumet à l’un ou l’autre des systèmes, il est vraiment très courageux pour un artiste indépendant de chercher à afficher sa propre interprétation du monde et la faire reconnaître, sans être accompagné d’un curateur(5). Et pourtant, les continuateurs du « paradigme de l’art contemporain »(6) persistent à voir dans la singularité, entendue comme le fait de l’esprit d’un seul, l’unique voie d’excellence artistique.


Ce paradoxe-là, dans mes années d’adolescence vandale, j’avoue m’en moquer complètement. Les rues que j’arpente en y traçant des petits dessins à la craie sont mon terrain de jeu de créations sauvages. Même si, aujourd’hui, de plus en plus d’études s’y intéressent, le graffiti est encore un mouvement désordonné qui échappe au cadre des sciences, autant qu’aux lois du marché de l’art. Dans les années 90, en Bretagne, aucun de mes collègues peintres à la bombe ne se revendique artiste. Il faut attendre que leurs « teenagekicks » deviennent le nom d’un festival de muralisme(7) pour qu’ils se professionnalisent, et se mettent à peindre en séries des petits formats, destinés aux surfaces intérieures immaculées d’un « white cube ». On peut se demander ce que cela fait à ces artistes de passer de la réalisation de fresques monumentales au point qu’elles te font croire que la seule limite après cela, c’est le ciel(8), à la vente de miniatures dans la loge exigüe d’une nième foire de l’art.


 

1. Georges Ballerat (1902-2000), artiste peintre, page wikipedia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Ballerat
2. Marie-Laure GUENNOC et Marie-P. ROLLAND, « Parce que le monde n’est pas un cube blanc », Travaux de l’Institut Géographique de Reims, vol. 33-34, n°129-130, 2007, Spatialités de l’Art, p. 175-187. https://www.persee.fr/doc/tigr_0048-7163_2007_num_33_129_1544               

3. Ibid.  
4. « Rennes. L’élaboratoire cherche un nouveau souffle », Ouest-France, 29/11/2018. https://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/rennes-l-elaboratoire-cherche-un-nouveau-souffle-6099243  

5. Klaus Speidel, « Ne m’appelez plus “curateur”», Artpress, n°471, novembre 2019 , Point de vue, p.18-21.  
6. Natalie Heinich, Le paradigme de l’Art Contemporain[...], Paris, Gallimard, coll. Bibl. des Sciences Humaines, 2014.
7. Teenagekicks (intraduisible en français) est une biennale de muralisme à Rennes, organisée par des artistes graffeurs. https://www.teenagekicks.org/
8. Jérôme Thomas, Sky is the limit, les peintres de l’extrême, FastProd, 2018, livre dvd ,125 min . http://skyisthelimit.fr

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Pour citer cet article :

Valérie Galerne a.k.a Mari Gwalarn, "Balance ton art dans l'espace public", site de recherche de l'auteur, [en ligne], Université de Rennes 2, 10 janvier  2020, mis en ligne le 1er juin 2020.

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