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Mémoire La Pièce rouge [...]

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Pour un monument aux mortes

Militantisme féministe

Art dans l'espace public

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Ce qui demeure dans la pièce rouge

par Valérie Galerne a.k.a. Mari Gwalarn

Article sur la Red room (child) de Louise Bourgeois.Décembre 2019

Travaux d'ateliers dirigés par Marie Boivent et Yann Sérandour

Présenté dans le CR du séminaire RONDES, animé par Sandrine Ferret et Florent Perrier

Université de Rennes 2 - UFR ALL - Classe de Master Art Pla Recherche

Louise Bourgeois (1991/2010) est une artiste plasticienne française, naturalisée américaine, connue surtout pour ses sculptures et ses installations. Je découvre tardivement toute sa production graphique, picturale et également les éléments de sa pensée d’auteure, couchés dans son journal personnel, dont les extraits sont publiés et diffusés à travers le monde à la fin de sa vie.(1)

La même année qu’une autre sculpture dont la rencontre a été également capitale pour moi,(2) dans le parc du Jardin des Tuileries, où je m’arrête chaque fois que je peux lors de mes visites à Paris, est installée son oeuvre The welcomming hands. C’est un ensemble en bronze de moulages de mains se soutenant, posées sur des blocs de granit. Et, en l’an 2000, démarre, pour moi, une période compliquée, pendant laquelle je me retrouve seule avec mes deux petits garçons en bas âges. Ces mains coupées de leurs corps originels, mais reliées ainsi les unes aux autres quasiment éternellement, me font prendre conscience que, malgré mes difficultés matérielles et la souffrance psychologique de l’abandon, je n’ai pas à me mettre de côté.  Louise Bourgeois a elle même dit qu’elle faisait de l’art pour « externaliser, examiner et contrôler ses propres émotions ».(3) Désormais, je cherche moi aussi, par mes créations, à construire des liens immuables avec autrui.  

On retrouve ces moulages de mains jointes, partout dans l’œuvre tardive de l’artiste, les Cells, en français cellules, dont deux curieuses loges nommées Red room, présentées pour la première fois en 1994, sont les premiers exemplaires. Elle explique elle-même que ces structures où apparaissent des portions de corps, sont des espaces où elle se sent vulnérable car enfermée. Elle écrit également : « Tant que les peurs du passé sont liées aux fonctions du corps, elles font leur apparitions à travers le corps. C’est pourquoi ma sculpture est mon corps. [...]». (4)


De ces deux premières cellules, constituées de paravents en bois, des portes d’un ancien tribunal,(5) enroulées en spirales presque fermées, celle qui m’intrigue le plus est celle appelée Red room (Child). Au travers de la vitre qui est le seul moyen de regarder à l’intérieur, on ne perçoit rien qui évoque une chambre d’enfant, contrairement à la Red room (Parents) qui est objectivement une représentation de la chambre conjugale parentale. Dans ce cagibi exigu, se trouvent disposés sur des étagères de hauteurs diverses, beaucoup de petits objets aux vertus symboliques, évocateurs du passé de l’artiste. Un amoncellement de pelotes de laine rappelle que Louise a passé son enfance dans l’atelier de fabrication et de restauration de tapisseries de ses parents. Ces références à l’enfance lointaine côtoient des moulages de mains et de formes sculpturales qui appartiennent au passé plus récent de la plasticienne. Tous ces objets majoritairement d’un rouge vif sont disposés sans agencement réel, comme remisés. On sait, par son témoignage que cette couleur, dont elle fait beaucoup usage,  représente pour elle la violence et le danger mais aussi la jalousie, la culpabilité et la honte.

Dans son journal autobiographique, Louise Bourgeois raconte le « mauvais traitement à enfant » dont elle fut la victime. Celle qui a entrepris une psychanalyse à la mort de son père, se décide, des décennies plus tard, à enfermer les souvenirs traumatisant de son passé, les joignant aux objets témoins du succès de sa vie de femme-artiste. Elle écrit : « Chaque jour, il faut renoncer au passé ou l’accepter, et si on n’y arrive pas, alors, on devient sculpteur. ».(6) On comprend donc qu’il s’agit de faire se tenir un procès dans cette pièce aux parois de bois et au contenu d’apparence sanglante, de soumettre les faits au regard et au jugement de l’observateur de l’œuvre. De voyeur, celui-ci devient juré, en charge de statuer sur le sort de ce qui demeure dans la pièce rouge.




 

1. Louise Bourgeois, Destruction du père, reconstruction du père, écrits et entretiens, rassemblés par Marie-Laure Bernadac et Hans Ulrich Obrist, Paris, D. Lelong,2000, p.103.
2. L’autre œuvre en question est l’Arbre des Voyelles de Giuseppe Penone.
3. Déborah Wye et Carol Smith, The prints of Louise Bourgeois, Museum of Modern Art, New York, 1994, citées par Nancy G. Heler, Women Artists, National Muséum of woman in the Arts, Newyork, 2000, p.172-173. (Traduit de l’anglais par mes soins).
4. Louise Bourgeois, citée par Simona Bartolena, Femmes artistes de la Renaissance au XVIeme siècle, traduit de l’italien par Ida Gordano, Gallimard, Paris, 2003, p165-166. 5. Nadine Satiat, Au miroir de Louise, Paris, Flammarion, 2013.
5. Nadine Satiat, Au miroir de Louise, Paris, Flammarion, 2013.
6. Louise Bourgeois, Destruction du père, reconstruction du père, écrits et entretiens, op. cit., p.143.

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Pour citer cet article :

Valérie Galerne a.k.a Mari Gwalarn, "Ce qui demeure dans la pièce rouge", site de recherche de l'auteur, [en ligne], CR des travaux d'ateliers dirigés par Mari Boivent e Yann Sérandour, décembre 2019, CR du séminaire "RONDES", animé par Sandrine Ferret et Florent Perrier, Université de Rennes 2,mis en ligne le 1er juin 2020.

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